Jan VERMEER , dit VERMEER DE DELFT est un peintre hollandais du XVIIe siècle (Delft, 1632 - Delft, 1675). Il acquiert de son vivant une notoriété certaine, sans pour autant faire figure de maître, et tomba assez rapidement dans l'oubli. En 1842, un critique et historien d'art, Joseph Théophile Thoré, qui aimait se faire appeler William Bürger, découvre la Vue de Delft. Il tombe en extase et consacre vingt ans de sa vie à rechercher la véritable identité du peintre. En 1866, W. Bürger publie la première monographie sur Vermeer. Il mentionne 42 oeuvres. C'est cette étude passionnée qui va susciter l'intérêt des historiens d'art et valoir à Vermeer une étonnante gloire posthume. Admirée par plusieurs peintres impressionnistes, son oeuvre - particulièrement la Vue de Delft - va ensuite inspirer Proust et Claudel.
A sa mort, Vermeer laisse derrière lui onze enfants, dont dix mineurs. 24 et 30 avril 1676. Catharina Vermeer adresse des pétitions aux Hautes Cours de Hollande et de Zélande pour obtenir des lettres de cession à ses créanciers, en invoquant les conditions désastreuses causées par la guerre et par la disparition de son mari. Elle obtient gain de cause. 15 mars 1677, vente dans la salle de la guilde des tableaux de la succession Vermeer. Vingt-et-une oeuvres du maître sont dispersées. 30 décembre 1687, Catharina Vermeer-Bolnes reçoit les derniers sacrements ; elle est enterrée trois jours plus tard. Les dernières oeuvres de Vermeer sont vendues aux derniers collectionneurs de Delft, qui les enfermeront dans leurs cabinets. Les volets se referment. Plus personne ne parlera de Johannes Vermeer. Son nom est oublié.
Le retentissant scandale provoqué par le faussaire Van Meegeren dont le procès eut lieu en 1947 contribua à rendre populaires le nom et l'oeuvre de Vermeer. Les spécialistes semblent s'accorder à lui attribuer trente-six oeuvres, mais sa vie est cependant mal connue : fils d'un tisserand, il fut baptisé à Deft en 1632; apprenti chez Leonaert Bramer, il aurait ensuite travaillé chez C. Fabritius dont il subit notablement l'influence. En 1653, il se maria et, probablement, se convertit au catholicisme; la même année, il fut reçu maître à la guilde d'Anvers, puis en devint vice-président à deux reprises (1662 et 1669). Il fut probablement aussi marchand de tableaux et de gravures, et après 1672 il éprouva de graves difficultés financières. Il travaillait sans doute avec lenteur, ce qui explique en partie le nombre restreint de ses oeuvres.
Les premiers tableaux qu'on lui attribue semblent indiquer qu'il se consacra d'abord à la peinture d'"histoire". Il peignit en effet Diane et ses compagnes (v.1654 - 1656); Le Christ dans la maison de Marthe et Marie (v.1654-1656) et Sainte Praxède (v.1655), oeuvres dénotant l'intérêt porté à la peinture italienne, notamment vénitienne, ainsi qu'une certaine parenté avec les sujets d'histoire de Metsu; dans ces compositions amples, la fluidité de la matière et le traitement des volumes par larges pans produisent un effet de mobilité.
Les sujets qu'il aborda ensuite s'inscrivent dans la tradition de la peinture de genre hollandaise; en effet, son répertoire thématique diffère peu de ceux de peintres tels que Pieter de Hooch, F. Van Mieris, G. Metsu et parfois Maes, et cependant le registre expressif adopté, et la perfection des moyens mis en oeuvre font apparaître sa profonde originalité. Dans les seules vues d'extérieur que l'on connaisse de lui, la Vue de Delft (v.1661), qui avait déjà provoqué l'admiration de ses contemporains, et La ruelle (v.1661), le rendu de l'espace, de la lumière et de la couleur atteint un rare degré de précision d'ordre naturaliste (on suppose qu'il se servait d'une chambre noire, pour mettre en place ses compositions ) en même temps qu'il les investit d'une dimension poétique.
Il eu cependant tendance à se limiter à des scènes se déroulant dans un univers clos : intérieurs où la source de lumière est souvent une fenêtre située à gauche. L'une de ses première scène de genre, L'entremetteuse (1656), relève par le thème et la composition (demi-figures), des caravagistes d'Utrecht: l'espace est peu approfondi, et de riches harmonies chromatiques mettent en valeur les jeux variés de la lumière sur les étoffes, objets et matières diverses. Avec Une jeune femme assoupie (v.1657) se précise son orientation; il allait en effet presque exclusivement mettre en scène des jeunes femmes dans un intérieur bourgeois, deux thèmes revenant avec insistance : celui de la femme occupée à lire ou à écrire une lettre (La liseuse à la fenêtre, v.1659; La femme en bleu lisant une lettre, v.1662-1665; Une femme écrivant une lettre, v.1666; Une dame écrivant une lettre et sa servante, v.1671; La maîtresse et la servante, v.1666-1667), et celui de la femme parfois en compagnie galante (L'officier et la jeune fille riant, v.1658; Le verre de vin, v.1660-1661; La jeune fille au verre de vin, v.1662), occupée à faire de la musique (La femme au luth, v.1662; Le concert, v.1664; La leçon de musique, v.1664; Une femme jouant de la guitare, v.1671-1672; Une dame assise au virginal, v.1674-1675; Une dame debout au virginal, v.1670; La leçon de musique interrompue, v.1660-1661), les thèmes de la musique et de la lettre étant parfois réunis comme dans La lettre d'amour (v.1667).
Il présenta rarement une femme occupée à une tâche quotidienne précise, excepté dans La laitière (v.1660-1661) et dans La dentellière (v.1670-1671), oeuvres où il parvient à exprimer une extrême concentration; mais le plus souvent les scènes sont assez imprécises et évoquent un climat d'oisiveté rêveuse (La jeune femme à l'aiguière, v.1662; La dame au collier de perles, v.1662-1665; La femme portant une balance, v.1662-1665). L'extrême économie du geste, la retenue de l'expression concourent à créer une atmosphère souvent nostalgique et mystérieuse, chargée de sous-entendus, les allusions à l'amour étant les plus fréquentes comme en témoigne la présence d'objets et de tableaux qui, en multipliant les significations connexes, amplifient le thème, le chargeant d'une dimension symbolique parfois morale : instruments de musique symboles de l'amour profane, représentation d'un Jugement dernier, d'un Cupidon, etc.
Vermeer peignit d'ailleurs quelques sujets allégoriques, notamment deux tableaux où figure exceptionnellement un unique personnage masculin et qui procèdent en partie de la scène de genre (L'astronome, v.1668 et Le géographe, v.1669, qui symboliseraient l'un la terre et l'autre le ciel), L'art de la peinture(v.1662-1665) et L'allégorie de la Foi (v.1672-1674).
Ses compositions se fondent sur un sens très médité de l'organisation spatiale, les rapports entre les personnages, les objets et l'espace environnant étant analysés avec acuité. Il évita l'accumulation pittoresque d'objets et accorda à chaque motif une fonction structurelle dans l'ensemble de la composition, sans pour autant s'abstenir d'effets décoratifs (tapis de table ou rideaux aux riches brocarts) ni de la description minutieuse. Ses compositions sont établies suivant des rapports géométriques stricts où dominent les angles droits, les contrastes d'horizontales et de verticales étant diversifiés par quelques diagonales (lignes des carrelages, des fenêtres, des portes, des tableaux sur les murs, angles des tables et des chaises), et le traitement de l'éclairage contribuant à l'harmonie d'ensemble aussi bien qu'à une très grande variété d'effets de lumière. Contrairement à Rembrandt, Vermeer modula l'éclairage en pleine clarté, d'où la luminosité, la limpidité de ses tableaux. Il analysa le caractère changeant de la lumière selon les matières sur lesquelles elle se reflète; il rendit ainsi sensibles les qualités tactiles des matériaux, leur texture (étoffes brillantes, lourds tissus, bois, cuivre, étain, cristal, porcelaine, nacre de la perle, etc.), maniant la couleur suivant diverses techniques: usant tour à tour et parfois simultanément d'une touche ferme, de petites coulées de matière qui créent un effet grumeleux (La laitière), d'une touche en pointillé qui rend finement la lumière (La dentellière), d'une touche fondue en multipliant les glacis et les transitions, ou d'aplats plus larges, cette modification de sa technique s'accordant à la stylisation croissante de ses oeuvres aux formes de plus en plus depouillées, presque shématisées (Une femme jouant de la guitare). D'où un aspect moelleux, une consistance presque onctueuse ou lisse et nacrée de la matière. Il créa des accords précieux de tonalités froides, particulièrement de bleu et de jaune.
Ce raffinement technique qui lui permis de nuancer l'atmosphère s'accorde à la subtilité avec laquelle il exprima les sentiments humains les plus ténus, comme en témoignent ses portraits féminins (La jeune fille au turban, dite aussi Jeune fille à la perle, v.1665-1666; Portrait d'une jeune fille, v.1672-1674; La jeune femme à la flûte; La fille au chapeau rouge, v.1668). Si la plupart de ses oeuvres dénotent peu d'invention quant aux sujets (il se contenta le plus souvent d'exécuter une variation sur un même thème), il procéda par épuration formelle, approfondissement psychologique, parvenant à donner un poids au geste le plus calme, à l'objet le plus banal, et une intensité expressive à un visage aux yeux clos. C'est pour cette conjonction de rigueur formelle et de résonnance poétique qu'il est maintenant considéré comme l'un des plus grands peintres du XVIIe siècle.